“Le mot radicalisation, on ne le connaissait pas”

1/02/2018 - Prévenir la radicalisation à travers le "vivre ensemble". C'est le défi que s'est lancée la compagnie Le Temps qui sèche via un appel à projet de la Mission Locale du Havre. Un travail de plusieurs mois avec des jeunes de 18 à 25 ans qui lie art, social et communication. Le tout pour un résultat épatant après un étonnant cheminement.




ENTRETIENS

CONTENU EDITORIAL

La curiosité n'est pas un vilain défaut. Et ça tombe bien ! Car quand Jérôme Boyer de la compagnie Le Temps qui sèche vient nous dire qu'il travaille sur un projet d'affiches avec des jeunes, ça nous interpelle. Plutôt connue pour ses projets dans le spectacle vivant (théâtre, performances...), sa structure dérive aussi vers les arts visuels et sonores. Et c'est exactement sur ce genre de "dérive" que se place l'initiative Humains en état de marche. Résultat: 10 affiches pour 10 messages par des jeunes de 18 à 25 ans pour des jeunes.

"Seinomedia - Et elles portent sur quoi ces affiches ?

Jérôme Boyer - On a répondu à un appel à projet sur la prévention de la radicalisation.

Seinomedia - ... "

Pas sceptique, pas particulièrement confiant. Juste curieux. C'est dans cet état d'esprit qu'on est allé rendre visite à 8 des 10 créateurs d'affiche. D'ailleurs pourquoi ce mode de diffusion plutôt que la mise en scène ?

"La prévention de la radicalisation, c'était l'idée de départ présente dans l'appel à projet. Les affiches, c'est mon idée parce que je ne voulais pas présenter ça sous forme théâtrale. Je ne voyais pas trop comment le faire" (Jérôme Boyer)

Prévention de la radicalisation: les jeunes en ligne de mire

Humains en état de marche ne sort pas comme ça de nulle part. Non non non. Comme expliqué plus haut, il répond à un appel à projet lancé par la Mission Locale Le Havre Estuaire Littoral. Mais pas que ! En effet, l'action est co-financée par le département de Seine Maritime et la Caisse d'Allocation Familiale (CAF). Puis encore par la sous-préfecture du Havre et le Commissariat Général à l'Egalité des Territoires (CGET). Le tout dans le cadre du dispositif d'Etat portant sur la prévention de la radicalisation. Vous voyez, on y revient.

120 jeunes ont ainsi été approchés en octobre 2017 pour intégrer la démarche. Leur point commun ? Bénéficier de la garantie jeunes qui les accompagne vers l'emploi et la formation lorsqu'ils sont en situation de grande précarité. Finalement, 10 d'entre eux se sont lancés dans la création d'une affiche personnelle. Celles-ci seront d'ailleurs exposés dans divers lieux fréquentés par le public jeune de l'agglomération.

De comédien, Jérôme Boyer s'est donc mué en directeur artistique pour mener à bien ce projet. Probablement que d'autres aptitudes auront aussi été nécessaires. Cependant, il n'y est pas allé à reculons non plus.

"La compagnie Le Temps qui Sèche l'a déjà fait et on continuera à travailler sur des problématiques qui questionnent l'espace public et le vivre ensemble. Puis là, l'intérêt, c'était de travailler avec des jeunes qui sont les mieux placés sur ce sujet"

Pourtant, on partait de loin

Si on était curieux à propos de cette démarche, c'est bien parce que, vue comme ça, elle n'a rien de sexy. Imaginons. On vous propose à vous chers lecteurs de faire des affiches pour prévenir la radicalisation. Vous y allez ? Peut-être ? Pas sûr ? Oui ? Non ? C'est donc la première question que l'on a posée aux 8 jeunes présents. Et comme on pouvait s'y attendre, les débuts ont manqué quelque peu d'enthousiasme. C'était le cas de Sorhania.

"On nous a conseillé de venir pour s'ouvrir à autre chose. Au début, je n'étais pas intéressée par ce projet. Puis après, j'ai pensé pouvoir prendre la parole pour ceux qui se taisent"

En effet, il y a eu un cheminement. Il a fallu attendre le déclic pour que 10 protagonistes s'impliquent totalement. Un peu comme celui qu'a eu Hawa.

"Mon non plus, je n'étais pas super intéressée. Mais quand j'ai trouvé le message que je voulais faire passer et l'image qui allait avec, c'est là que j'ai commencé à vraiment me mettre dedans"

Premier bon point pour l'initiative ! Avoir réussi à créer une émulation autour d'un thème délicat et franchement pas glamour du tout. Mais l'intitulé n'était pas le seul obstacle au départ du projet. C'est ce que nous a confié Chloé.

"Le mot 'radicalisation', on ne le connaissait pas. Donc on nous l'a expliqué puis ce qu'étaient les signaux forts et signaux faibles"

Il a donc fallu en passer par les fondamentaux. Qu'appelle-t-on radicalisation ? Et quels sont les signes montrant que quelqu'un bascule ? (les fameux signaux). Si on peut toujours avoir un débat sur le sens que l'on donne à ces mots, on pourra au moins reconnaître que Humains en état de marche a eu le mérite d'apporter des informations à un public qui en manquait cruellement. Bon point N°2 !

Un message jeune. Vraiment ?

Pourtant, du côté de la compagnie Le Temps qui Sèche on vante les mérites de ces 10 jeunes qui ont su, malgré ces obstacles, produire le contenu des affiches. Franck Lesniak, qui travaille à leur conception, tient à la souligner.

"C'est leur message, la façon dont ils voulaient que ce soit fait. Notre travail, c'est que ce soit le plus fidèle possible"

Parmi les 8 présents, Anissa nous explique d'ailleurs comment s'est opéré le choix des sujets.

"Jérôme (Boyer NDLR) nous a proposé plein de thèmes et on a choisi nous-mêmes"

Ainsi, plusieurs thèmes sont retranscrits via ces affiches: responsabilité, désir d'exister et même la famille. Ce dernier est justement celui choisi par l'autre Chloé du groupe.

"Je trouve que le thème de la famille est important. Quand on entend parler des terroristes à la télé, on oublie qu'ils ont aussi une famille et comment elle vit la situation. Est-ce qu'elle doit considérer qu'elle ne reverra plus ce membre ? Doit-elle faire un deuil même si la personne est toujours en vie ?"

Justement, les réalisateurs de ces affiches accordent une grande importance au rôle des médias dans l'idée qui est faite du terrorisme et des attentats. Et ceux-ci sont au coeur du message porté par la première Chloé qui a pris la parole un peu plus haut.

"Ce qui se passe depuis quelques années, c'est prévenu par les médias. Mais c'est aussi influencé. C'est un moyen d'être connu. Mais si on y a recours, on est perdu"

C'est pourquoi elle a beaucoup d'espoir dans la démarche initiée par la Mission Locale du Havre et la compagnie Le Temps qui Sèche.

"On espère que ça va faire réfléchir et réagir les gens (...) C'est plus simple pour nous de parler à quelqu'un de notre âge et on sera plus pris au sérieux que si c'était un adulte"

Radicalisation ou vivre ensemble ?

Pour voir l'effet véritable de cet affichage, il faudra attendre au moins le 18 février. Date à laquelle les 1 000 exemplaires prévus doivent investir le réseau des missions locales, les lycées et peut-être même l'université du Havre Normandie. Que des établissements accueillant des jeunes publics. Même si Le Temps qui Sèche espère être contacté par d'autres établissements.

Mais l'important est ailleurs. Si Chloé espère "faire réagir les gens", le concepteur des affiches Franck Lesniak n'y voit pas un objectif majeur.

"L'idée, c'est vraiment de montrer comment les jeunes réagissent face à la radicalisation (...) Oui, bien sûr qu'on attend des réactions. On ne sait pas lesquelles mais il y en aura sûrement"

D'ailleurs, c'est bien sur le cheminement réalisé entre l'initiation au projet et la réalisation qui a plu aux membres de la compagnie. Avant tout réalisateur vidéo, Franck Lesniak en a ainsi fait un film de 15 à 20 minutes durant les différents ateliers. Il espère pouvoir le diffuser pendant la période d'affichage.

Mais c'est vite oublier que cette diffusion n'est que la première partie du plan ! Car oui, dans le projet présenté par Le Temps qui Sèche, il s'agissait surtout d'utiliser la prévention de la radicalisation pour parler du vivre ensemble. C'est Jérôme Boyer qui le dit.

"Sur les affiches, on a questionné le mot 'vivre'. La résidence, c'est l'étape suivante. Parce que le vivre ensemble questionne la société vers laquelle on se dirige"

Et oui, la deuxième partie du plan, c'est une résidence artistique qui doit se tenir au Burkina Faso avant la fin de l'année 2018.

"C'est bien de questionner cette idée du vivre ensemble. Pourquoi le Burkina ? Parce que c'est bien de prendre du recul et d'aller voir ce que ça signifie dans un autre pays avec une autre culture (...) Dans les sociétés autocentrées comme la nôtre, le vivre ensemble, tu te le prends en pleine gueule parfois" (Jérôme Boyer)

Bien sûr, les membres de la compagnie espèrent bien associer les 10 jeunes qu'ils ont accompagnés dans cette aventure.

Mais d'ici là, on attend le 18 février avec impatience. Ne serait-ce que pour voir se concrétiser ces mois de travail. Et surtout dans quelles proportions ! Car de nouveaux espaces d'affichage peuvent se manifester d'ici là. Pour, pourquoi pas, renouveler l'opération et ainsi faire profiter d'autres jeunes d'éclairage et d'ouverture sur des sujets dont ils sont  la fois si proches et si loin.




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