LE PORT DU HAVRE A LA BANANE

On s’est fait avoir… On avait répondu à l’invitation du Syndicat des Transitaires pour la signature d’une charte. Or, le port du Havre et ses entreprises nous avaient réservés une petite surprise. Ca tombait bien car le sujet est devenu tout d’un coup très intéressant.

Ne nous mentons pas. On reçoit une invitation de la part du syndicat des transitaires du Havre (STH). Elle concerne une signature de charte phytosanitaire entre HAROPA (Ports du Havre, Rouen, Paris), le STH, l’UMEP (entreprises portuaires) et le Ministère de l’Agriculture. Pas très glam’ donc au premier abord. Et surtout intéressant ni pour vous ni pour nous. Seulement, on a rarement l’occasion de voir nos amis les transitaires qui font la pluie et le beau temps sur le port du Havre. Il faut dire qu’ils n’ont pas très envie de nous parler non plus… Donc on est allé voir et on n’a pas été déçu du voyage ! Car Le Havre et HAROPA comptent bien, dans le sillage de cette charte, chiper un leadership au port de Rotterdam. Ce n’est pas comme si ce dernier était n°1 en Europe.

PORT DU HAVRE: UNE SURPRISE ? QUELLE SURPRISE ?

Faisons court, faisons simple. La charte phytosanitaire signée entre les différents acteurs nommés plus haut n’est pas ce qu’il y a retenir. Elle consiste surtout à reposer les bases des contrôles sanitaires effectués sur les importations de fruits et légumes. Des contrôles réalisés par les douanes auxquelles sont affiliés les transitaires via le STH donc. Mais aussi par le Service d’Inspection Vétérinaire et Phytosanitaire (SIVEP) géré le Ministère de l’Agriculture. Le tout en concertation avec les entreprises et le propriétaire des lieux: HAROPA. Les dispositions signées mardi 7 novembre sont de toute façon soumises aux changements de réglementations qui pourraient intervenir. Pour preuve de son intérêt mineur, il en a finalement peu été question. Du moins, en dehors de la signature elle-même et d’une courte allocution de Sophie Andreïs, cheffe de poste du SIVEP au Havre.

Mais quelle était donc la motivation de tout ce beau monde pour se réunir au Port Center du Havre ? Eh bien, cette charte permet surtout aux acteurs économiques du port de poursuivre un travail engagé dès la création de HAROPA en 2012. On parle ici de l’augmentation trafic reefer. Le mot est très technique mais dénomme juste les conteneurs réfrigérés. Et plus particulièrement ceux dont on peut adapter la température en fonction de la marchandise transportée. On les appelle aussi conteneurs à température dirigée. Le directeur commercial et marketing de HAROPA ne cache d’ailleurs pas la véritable ambition des ports.

“Pourquoi développer une charte ? C’est dire aux clients qu’il y a un écosystème favorable pour le développement de leur activité et leur compétitivité. C’est aussi montrer que sur le port du Havre, il y a de la souplesse pour y parvenir”

Bien bien bien. Surtout que HAROPA est le premier port français en terme de reefer. Maintenant, les trois ports veulent rattraper Rotterdam et même le dépasser.

Certes, Rotterdam est N°1 et on voit mal comment HAROPA pourrait rivaliser dans un avenir relativement proche. Il suffit de passer à proximité du port néérlandais pour s’en rendre compte. Mais comme on ne peut pas faire ça tous les jours, on se contentera des chiffres. Des chiffres qui en disent long sur l’écart qui reste à combler pour les ports français. Et pas seulement vis-à-vis de Rotterdam mais aussi d’Anvers et Hambourg. Cependant, Rotterdam a déjà passé la vitesse supérieure sur le reefer. En effet, il déploie progressivement son Cool Port pour augmenter lui aussi son trafic sur lequel il est déjà leader. Mais au Havre, on a décidé de se spécialiser sur les fruits et légumes frais. Non non, ne soyez pas déçus, les personnes concernées vont vous expliquer. Même si la stratégie de Rotterdam s’axe elle aussi sur les produits frais…

Bien sûr, il y a des bananes mais aussi des agrumes !  Quoique le plus important est bien le potenciel du marché (bah oui). Selon les chiffres fournis par HAROPA, le reefer représente 142 millions de tonnes de marchandises transportées chaque année dans le monde. Certes, on ne sait pas trop ce que ça représente et ce n’est pas le plus important non plus dans l’histoire. Ce qui attire les entreprises portuaires, c’est la croissance continue de ces échanges. Car ceux-ci augmentent chaque année de 4 à 5%.

Chez HAROPA, le trafic reefer a connu un bond de 19% entre 2012 et 2013. Une croissance qui s’est poursuivie entre 2013 et 2016 avec une augmentation de 26%. Mais le transport de fruits et légumes frais possède pas mal d’avantages dont peut bénéficier le port du Havre notamment. C’est Hervé Cornède qui en parle le mieux.

“On a un modèle économique en mutation avec des transports par navires conventionnels en baisse au contraire de celui par porte-conteneurs. Donc nous sommes plutôt bien placés”

En effet, les fruits et légumes transitent de plus en plus par conteneurs (+28% entre 2012 et 2016). De plus, les importations de produits hors-saison a aussi augmenté de 46% en France sur cette période. Alors, quand on pense que les fruits et légumes ne représentent que 10% du trafic reefer du premier port français en la matière…

UNE CHARTE ET UN PLAN POUR LE PORT DU HAVRE

le président du syndicat des transitaires du Havre (STH), Jean-Louis Le Yondre, va même plus loin. Pour lui, le port du Havre a “un déficit en matière d’importation de fruits et légumes”. D’importation, oui. Car les chiffres listés plus haut en cachent encore d’autres. En effet, le rapport exportations/importations est de 70%-30% selon les données de HAROPA. L’écart est un peu moins important si on ne prend que les fruits et légumes (58%-42%). Mais pour Jean-Louis Le Yondre, l’import doit encore être développé.

“On a besoin du reefer à l’import pour en avoir à l’export et poursuivre ainsi le développement du port du Havre. C’est par ce développement qu’on arrivera à attirer de nouveaux clients et faire valoir notre savoir-faire en termes de qualité et sécurité”

Les chiffres et les souhaits du port comme des entreprises, c’est utile, certes. Mais vous allez dire: “qu’est-ce qu’on s’en fiche de leur business ?”. Sachez-le, les transitaires pensent comme vous. C’est d’ailleurs pour cette raison, du moins, c’est ce qu’ils nous disent, qu’ils réservent le gros de leur actualité à la presse spécialisée.

Pourtant, c’est vite oublier que le port du Havre est le poumon économique du coin. Donc si activité il y a, beaucoup devraient en profiter. C’est pourquoi le président des transitaires a parlé de générer des emplois si ce projet était mené à bien. Paroles, paroles peut-être. Quoique selon le théorème accepté dans le milieu, 5 emplois sont créés dès que 1 000 nouveaux conteneurs sont traités sur le port. Sachant que le nombre de conteneurs reefer est passé de 159 000 à 201 000 entre 2013 et 2016, ce sont donc 210 emplois qui auraient été pourvus rien que dans ce secteur.

Toutefois, il reste toujours cette question: pourquoi choisir Le Havre plutôt que Rotterdam ? Parce que, en termes de taille et d’infrastructures notamment, le choix ne se discute même pas. Si ce n’est peut-être cette particularité qu’a Le Havre de réunir services sanitaires et douaniers en un même lieu. Ce qui, d’après les spécialistes fait gagner du temps aux transporteurs… et donc de l’argent à leurs opérateurs. Mais à part ça…

Et justement, cette charte garantit l’augmentation des effectifs en cas de hausse de trafic. Mais pour Jean-Louis Le Yondre, il ne s’agit pas du seul levier sur lequel peut s’appuyer le port.

“Oui, Rotterdam monopolise tout actuellement (…) Mais grâce au conteneur à température dirigé, on peut favoriser la qualité de la marchandise. Les produits sont mis dans ces conteneurs donc plus besoin d’entrepôts avec rupture de température. Ainsi, on accélère les processus. C’est ce qu’on a trouvé pour concurrencer Rotterdam”

Vu comme ça, ça paraît un peu léger. Mais ne vous inquiétez pas, c’est parce qu’il manque un maillon à l’explication.

“Là, nous avons un gros client globalisé à travers le marché de Rungis (…)  La distance entre Le Havre et Rungis est moins importante qu’avec Rotterdam. Donc même s’ils copient ce qu’on va faire, on sera toujours plus compétitif”

Malin. Même si, du coup, ça ne nous dit pas exactement ce qui sera mis en place. Business is business… Mais tout le monde a tellement l’air sûr de lui qu’on va faire confiance. Jusqu’à ce que les premiers résultats arrivent, du moins. Car présenté comme ça, piquer un leadership à Rotterdam juste parce qu’on l’a décidé paraît un petit peu gros pour être vrai.

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Maxime Malfoy

Journaliste passionné, Maxime jongle entre radio, vidéo et presse écrite depuis 8 ans. Et pour ce tout terrain de 30 ans, l'important est de transmettre l'information en direct et sans filtre. C'est pour cette raison que Maxime a lancé Seinomedia.fr en janvier 2017.
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